Résumé
Par amour, Joseph Ponthus quitte son travail d’éducateur spécialisé à Nanterre pour rejoindre sa femme dans le Morbihan. Comme il ne trouve pas d’emploi dans sa branche, il accepte ce que l’agence d’intérim daigne bien lui proposer : une embauche dans les conserveries de poissons qui sera suivie d’une autre dans des abattoirs… 

 

Notre avis
Lorsqu’on ouvre les pages d'A la ligne, on est d’abord séduit par la forme originale du roman : ce n’est pas un de ces sempiternels récits en prose, mais une suite de poèmes en vers, sans rime ni ponctuation : comme un long poème de Prévert ! Un parti pris stylistique qui rend compte avec pertinence de la pénibilité du travail en usine : comme l’explique très bien lui-même Joseph Ponthus, « c’est l’usine qui a donné le rythme : sur une ligne de production tout s’enchaîne très vite. Il n'y a pas le temps de mettre de jolies subordonnées. Les gestes sont marginaux et les pensées vont à la ligne. »

La langue de Joseph Ponthus frappe et émerveille à la fois. Chaque vers correspond soit à une phrase simple ou complexe, soit à un simple groupe nominal ou verbal ou encore un simple mot. Une phrase peut même aller à la ligne avant qu’elle ne soit finie, provoquant ainsi un effet de heurt, de rejet. Ces vers de longueur très irrégulière et à la syntaxe particulièrement malmenée produisent donc un texte complètement désarticulé : Ponthus illustre ainsi parfaitement un corps douloureusement mis à l’épreuve par le labeur. L’aspect imposant et répétitif du travail est efficacement traduit par la reprise anaphorique de certains vers : « J'égoutte du tofu/Je vais continuer/J'égoutte du tofu/ La nuit n’en finit pas/J'égoutte du tofu/La nuit n’en finit plus/J'égoutte du tofu ». Difficile pour l’esprit de s’épanouir dans un corps aussi pris par le travail et le temps : on ne prend pas souvent la peine de livrer des phrases verbales, et le vocabulaire est simple et cru, à l’image du quotidien de l’auteur : « Enfin à l’air/Enfin dehors/Clope/Regarder l’heure sur le portable/On va dire vingt minutes (…) /Il reste un petit quart d’heure/Combien de temps pour remonter/Se changer/ Aller pisser ».

L’auteur émaille cependant son écriture de clins d’œil littéraires qui, confrontés à son expérience, prennent une nouvelle signification, tels ces mots de Dumas : « Attendre et espérer/Je me rends compte qu’il s’agit des derniers mots de Monte-Cristo ». Contrairement à ce que certains pourraient croire, le bagage littéraire de Joseph Ponthus l’aide mieux que n’importe quel autre à supporter ce dur quotidien de labeur, en le faisant par exemple comparer la découpe d’une queue de vache à un mousquetaire ferraillant contre les gardes d’un cardinal ! Les références sont nombreuses et éclectiques, mais l’auteur reconnaît une dette particulière envers les poèmes d’Apollinaire et les chansons de Trenet.

Avec panache et poésie, ce voyage au centre de l’enfer intérimaire nous enseigne que la littérature, lorsqu’elle n’est pas trop coupée des vents du dehors, sert à quelque chose : survivre, tout simplement !

Jean-Loup Médiathèque André-Cancelier