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Résumé

Une jeune femme arrive à l’aéroport de Paris avec zéro mémoire, impossible pour elle de se rappeler son propre nom. Rationnelle, elle va employer une méthode empiro-déductive afin de déterminer qui elle est : elle entreprend de décoder tous les signes que peuvent lui renvoyer ses affaires ou son apparence réfléchie par le miroir. Elle finit par vider son sac, au propre comme au figuré, pour y trouver deux passeports : sur ces derniers, elle apprend qu’elle s’appelle Rkvaa Nnoyeig et qu’elle est née à Lyon, de parents yaziges. La Yazigie, mais qu’est-ce donc ? Un « minuscule Etat enclavé entre la Pologne et l’Ukraine avec beaucoup de pommes de terre et aucun littoral. » 

Dès lors Rkvaa Nnoyeig ne va cesser d’enquêter sur sa véritable identité : est-elle Française ? Ou est-elle Yazige ?

Notre avis

Edité à l'origine par P.O.L. en septembre 2016 et venant d'être réédité en poche par Gallimard, Double nationalité est un roman ambitieux et rempli d’autodérision sur les troubles de l’identité et le regard de l’autre. Riche de références littéraires, Nina Yargekov joue de la redécouverte du connu dans un esprit à la fois ludique et politique, à l’instar du Montesquieu des Lettres persanes et des autres grands récits du XVIIIème siècle. Le choix de l’amnésie va ici de plus renforcer le registre comique du livre : ne cessant de se perdre en conjectures, Rkvaa Nnoyeig va se demander par exemple, en examinant « sa chemise trop près du corps, sa jupe trop transparente et ses yeux lourdement maquillés » si elle n’est pas tout simplement une prostituée ! Ensuite, afin de tester son appartenance culturelle, Rkvaa va se soumettre à des stimuli nationaux et établir des comparaisons plus ou moins déjantées des coutumes respectives de chaque pays ! Ces moments délirants expliquent le choix des pays imaginaires comme la Yazigie et la Lutringie : l’auteur peut ainsi outrer son récit sans qu’on lui reproche de trop s’écarter de la réalité. A noter d’ailleurs que les deux principaux confidents de Rkvaa sont un pot de basilic et une petite taupe en peluche…

Sous des dehors fantaisistes, le propos du livre est cependant assez sombre. Nina Yargekov dénonce en effet l’obsession identitaire qui a cours aussi bien en France qu’en Hongrie. Dans le livre, l’auteur alerte en effet sur un certain renouveau fasciste en Europe, notamment à travers la scène des migrants bloqués à la gare de l’Est de Budapest. Dans le contexte actuel, certains pays européens se referment en effet sur eux-mêmes, et nous avons pu constater avec amertume que la Hongrie d’Orban s’enorgueillissait de ses murs barbelés anti-migrants... Or c'est la notion de frontière qui est ici mise en question, ainsi que l'injonction à ne devoir être obligatoirement défini que par une seule langue et une seule culture. Ce renfermement qui se veut sécuritaire ne risque-t-il pas au contraire de créer une forme d’asphyxie et une peur irraisonnée de l’autre ?

Double nationalité est donc un roman salutaire qui dénonce avec justesse une certaine pression identitaire : cette dernière, à vouloir en effet tout uniformiser, risque tout simplement d’entraver nos propres libertés. Cette dénonciation est de plus servie avec un humour et un sens de l’absurde qui rendent le récit particulièrement agréable à lire ! Comme l’a expliqué Nina Yargekov à la revue en ligne Littérature hongroise.fr du 12 avril 2017 (entretien avec Gábor Orbán) : "Je ne voulais surtout pas d’un roman plaintif où l’héroïne se lamente sur la complexité de sa vie et la tristesse du monde. […] Il m’est arrivé de réécrire certains passages que je trouvais trop geignards, je me disais  "Il faut que tu te décales un peu." " Objectif atteint !

Jean-Loup Médiathèque André-Cancelier