Résumé

Comme son titre l’indique, le livre parle d’un kiosque : celui du 101 de la rue de Flandre à Paris dans lequel Jean Rouaud a travaillé pendant sept ans, de 1983 à 1990, pour gagner sa vie alors qu’il élaborait son premier roman. Ce dernier s’appellera Les champs d’honneur et obtiendra le prix Goncourt lors de sa publication en 1990 !

Kiosque est en réalité le 5ème opus de la série autobiographique commencée en 2011, intitulée « La vie poétique » : Jean Rouaud y raconte, entre autres, ses années d’enfance, d’études, les petits boulots, les voyages en auto-stop et surtout son apprentissage en tant qu’écrivain.

Notre avis

Bien que le livre soit autobiographique, il est loin d’être autocentré : il dresse en effet le portrait de toute une humanité variée qui a pu défiler au kiosque de Jean Rouaud, des réfugiés fuyant les crises du monde entier aux Parisiens antédiluviens. Kiosque a donc ceci de réjouissant d’être un livre ouvert sur le monde : il présente, souvent avec humour mais toujours avec bienveillance, toute une galerie de personnages plus ou moins atypiques, plus ou moins héroïques, aux destins plus ou moins brisés. C’est l’occasion de replonger dans le Paris et le monde des années 80, marqués par des projets architecturaux plus ou moins incongrus (comme construire une pyramide au Louvre !) et de sempiternels troubles internationaux.

L’humanité qui défile au kiosque de Jean Rouaud permet à ce dernier d’avoir une connaissance beaucoup plus complexe et nuancée du monde que celle proposée par la plupart des quotidiens : « Selon l’arrivage des catastrophes, comme le monde entier débarquait à notre kiosque, je bénéficiais ainsi des éclairages de ceux qui savaient de l’intérieur et plus justement  de quoi il retournait ». Cela n’est d’ailleurs pas sans surprendre d’abord un Jean Rouaud formaté par une bonne conscience occidentale : face aux évènements troubles de l’époque susceptibles de controverses, comme la guerre au Liban, notre apprenti écrivain appréhende parfois d’affronter l’ire de ses clients, d’origine et d’opinions politiques variées. Lorsque des F-15 Eagle israéliens bombardent le QG de Yasser Arafat près de Tunis en octobre 1985, Jean Rouaud confie : « Aurait-on bombardé un quartier de Paris sous prétexte qu’il eût abrité un ennemi public numéro un du même genre, j’aurais trouvé à y redire. Je me préparais donc à recevoir les commentaires outrés de mes Tunisiens, à composer une tête de circonstance. » ; mais la réaction complètement inattendue de ses Tunisiens rendra ses craintes infondées, et l’éclairera bien davantage que « les commentaires convenus ressassés en boucle d’un quotidien à l’autre ».

Il aurait été injuste pour Jean Rouaud de ne pas faire revivre dans son œuvre autobiographique tous ces instantanés et cette humanité qui l’ont nourri et formé. Cela n’aurait été pas possible cependant sans tordre le cou à un célèbre ponte de la critique littéraire structuraliste : Roland Barthes. Jean Rouaud, qui a fait des études de lettres à Nantes au début des années 70, a en effet visiblement souffert de ce fameux courant critique qui régnait alors : ce dernier, en mettant l’accent sur « le texte pour le texte » dans une perspective qui se voulait scientifique, a pu malheureusement contribuer à faire de la littérature une entreprise complètement désincarnée, et en a d’ailleurs découragé plus d’un : « Comment restituer ces instantanés en les donnant littérairement à voir ? se demande ainsi Jean Rouaud. […] C’était la grande question pour moi, avec laquelle je me battais depuis plusieurs années, résistant aux appels du réel au nom d’impératifs formels, au point de trouver dégradant d’appeler les choses par leur nom ». Heureusement, la découverte par Jean Rouaud quelques années plus tard de Matsuo Basho, célèbre poète japonais du 17ème siècle et auteur de près de 2 000 haïkus, aura peut-être l’avantage de mettre un terme heureux à ce cruel dilemme !

Les sept années passées au kiosque du 101 de la rue de Flandre ont donc permis à Jean Rouaud d’entreprendre un véritable voyage initiatique tout en ne bougeant pas de Paris ! Kiosque est le récit passionnant, tendre, comique et irrévérencieux d’un apprenti écrivain qui tente de se réconcilier avec la littérature afin de rendre hommage à toute une humanité bigarrée qui lui a fait comprendre le monde mieux que quiconque !

Jean-Loup Médiathèque André-Cancelier